Allocutions et interventions

POUR LE CENTENAIRE DE LA PROTESTATION DE BARAGUÁ, commune Julio Antonio Mella, Santiago de Cuba, le 15 mars 1978

Date: 

15/03/1978

Chers compatriotes,

Pour faire une analyse historique approfondie de la Protestation de Baraguá, il nous aurait fallu disposer de plus de temps, mais l'activité de ces jours-ci me l’a empêché. Je ne pense donc pas prononcer ici une conférence ni évaluer la portée historique exacte de ces événements. Je suis ici pour exprimer la profonde reconnaissance, l'affection et l'admiration que suscite en moi ce glorieux fait historique et pour exprimer quelques idées et quelques impressions sur son importance et sur les circonstances dans lesquelles il s’est produit.

Quel temps faisait-il le 15 mars 1878, il y a cent ans ? On dit que ce matin-là, avant la conférence, il y avait de la brume. Mais je crois que, sous de nombreux aspects, c'était un jour comme aujourd'hui. Sans doute y avait-il plus de manguiers, aujourd'hui disparus sous l’effet du temps, de la négligence et peut-être de l'extension des grandes plantations de canne à sucre établies ici par les monopoles étrangers. Mais ce dont on peut être sûr, c'est qu'il y avait un soleil comme celui-ci, des montagnes comme celles que nous voyons à l'horizon et des hommes qui étaient de dignes représentants de notre peuple, com­me ceux qui se trouvent ici aujourd'hui (applaudis­sements).

Il y a quelques minutes, nous observions les pionniers qui tout à l'heure joueront sur scène la Protestation de Baraguá. Ces enfants vont à l'école de la sucrerie Mella. Les uns portent l'uniforme des Espagnols, les autres sont vêtus comme les combattants cubains de l’époque. Je les observais et je pensais que les hommes qui ont écrit cette brillante page de l'histoire de notre patrie ont été un jour comme ces enfants.

Pourquoi la Protestation de Baraguá a-t-elle une signification si importante dans l'histoire de notre pays ? Qu’est-ce que la Protestation de Baraguá ? Que représente la Protestation de Baraguá et que représentera-t-elle toujours ?

Les Cubains avaient lutté pendant près de dix ans avec héroïsme. On peut dire en toute justice que nulle part sur ce continent un peuple n’avait lutté pour son indépendance aussi héroïquement, pendant tant d'années et dans des circonstances aussi difficiles.

Lorsque les colonies anglaises de l'Amérique du Nord – aujourd'hui les États-Unis – se sont libérées, elles ont reçu l'aide d'autres nations ; des armées envoyées par d'autres nations sont même venues les aider, sur un territoire immense. Lorsque les nations de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud ont engagé la lutte pour l'indépendance au début du siècle dernier, elles l’ont fait toutes ensemble au moment même où la métropole espagnole était occupée par l'armée française et elles ont pu constituer des États et des pays indépendants en pleine guerre, organiser des armées et recevoir de l'aide de l'étranger.

Qu’elles étaient différentes, les conditions dans lesquelles notre peuple s’est lancé dans la guerre de 1868 ! Une île, privée par la nature de toute aide extérieure, de tout approvisionnement. Quelques rares débarquements d'armes envoyées au prix de grands sacrifices et de grandes difficultés par les citoyens émigrés. De plus, ce n'était pas un ensemble de pays qui luttaient contre l'Espagne, mais un seul pays, une petite île qui ne comptait pas plus d'un million et demi d'habitants. Et ce peuple devait affronter une des plus grandes puissances militaires de l’époque, sans recevoir d'approvisionnement de personne, sans recevoir l'aide de personne, et il a livré cette guerre pendant dix ans.

Si, au début de la guerre, en 1868, il y avait 13 000 soldats espagnols dans notre pays alors que les combattants cubains n’ont jamais dépassé les 8 000, à la fin de la guerre il restait à peine 4 000 Cubains contre 100 000 Espagnols.

Cette guerre n’a pas abouti à l'indépendance. Le mouvement patriotique a subi – je ne vais pas dire une défaite – mais un revers important.

Les raisons pour lesquelles notre peuple n’a pu conquérir l'indépendance dans ces circonstances sont nombreuses. Peut-être est-il plus facile aujourd’hui d'analyser les faits, d'avoir un point de vue critique. La distance aidant, nous pouvons juger, par exemple, que lorsque les Cubains se sont soulevés en armes, ils n'avaient absolument aucune expérience militaire et politique. L'organisation dont se sont dotées l'armée et la République en armes était complexe et les circonstances ne s'y prêtaient sans doute pas. En pleine guerre, ils ont créé une Assemblée constituante, idée véritablement extraordinaire et noble. C’est de cette Assemblée que sont nés une République, un gouvernement, une Chambre des représentants. Et ce système d’organisation n'était peut-être pas le plus approprié à la guerre. Mais c'étaient là les connaissances qu'avaient les combattants, les idées qui s'imposaient, et chacun de ces hommes était sûr d’accomplir son devoir révolutionnaire et patriotique de la façon la plus juste.

Le sentiment national n’était pas réellement forgé. C’est précisément cette guerre de Dix Ans qui a contribué à consolider définitivement l'esprit national. A l'époque, il existait encore un esprit fortement régionaliste. Il était difficile de déplacer des forces d'une province à l'autre, d'une juridiction à l'autre. Souvent, les chefs des différents corps armés de chaque région étaient en quelque sorte les meneurs ou les caudillos de ces combattants. Les patriotes ont dû donc affronter ces réalités, ce régionalisme profondément enraciné qui entravait la marche des opérations militaires.

Des problèmes politiques ont surgi également. Quelques chefs se sont laissé emporter par l’ambition, quelques patriotes ont été victimes de la confusion. C’est ainsi que se sont produit des faits douloureux, comme la destitution du Père de la patrie, Carlos Manuel de Céspedes. Et ça n’a pas été le seul cas. En 1875, des séditions militaires ont eu lieu dans plusieurs régions, notamment celle de Lagunas de Varona, au moment précis où Máximo Gó­mez envahissait la province de Las Villas et avait besoin de renforts pour poursuivre les opérations militaires. Les efforts que l'état-major cubain devait déployer pour réunir ces forces destinées à appuyer Máximo Gómez, constituent un des facteurs qui ont favorisé les préparatifs de la sédition de Lagunas de Varona, en 1875. Plus tard, lorsque dans un ultime et suprême effort, les Espagnols ont dépêché dans notre pays de puissants contingents de troupes aguerries pour avancer d'ouest en est et repousser l'invasion des patriotes, d'autres événements douloureux se sont produits, notamment l'expulsion virtuelle de Máximo Gómez du territoire de Las Villas, en raison du régionalisme forcené dont faisaient preuve certains chefs ; par ailleurs, il y a eu de nouvelles séditions militaires, comme celle de Santa Rita, au moment où les troupes de Martínez Campos lançaient leur offensive en direction de la province de Camagüey. Cette sédition a été à l’origine de l'indiscipline et de l'insubordination d'unités entières et de la désertion de nombreux combattants, précisément lorsque l'ennemi avançait sur Camagüey avec plus de force que jamais.

Toutes ces circonstances ont provoqué peu à peu une situation militaire vraiment critique. Cette fois, mieux instruit du caractère, de l’impétuosité, de la fermeté et de l'héroïsme des Cubains, l'ennemi ne s’est plus contenté de recourir à la force : il a mis en pratique une nouvelle politique. Parallèlement à l'action militaire, il a pris des mesures radicalement différentes de celles qu'avaient appliquées les chefs militaires espagnols durant presque toute la guerre,

Notre armée mambí avait perdu cette discipline de fer, ce respect exemplaire des chefs, des principes révolutionnaires adoptés, du Gouvernement révolutionnaire constitué. Ces facteurs ont affaibli considérablement nos forces aux moments les plus critiques et favorisèrent les plans de l'ennemi.

Dans la région de Camagüey, la démoralisation s'est installée, ce qui, venant s’ajouter au manque de ressources et à la fatigue, et, dans quelques cas isolés, à la trahison, a créé les conditions propices à l’adoption de ce qu’il a été convenu d'appeler le Pacte du Zanjón, c'est-à-dire la paix sans l'indépendance de Cuba.

Bien que les patriotes aient approuvé une loi — ou décret — instituant la peine de mort pour quiconque leur ferait des propositions de paix sans indépendance, les circonstances créées étaient telles que ce décret lui-même a été abrogé et que des contacts ont déterminé les démarches ultérieures à la suite desquelles cet accord a été conclu.

La situation était extrêmement critique, extrêmement difficile. Le fait est que le 21 décembre 1877, le commandement espagnol a ordonné la suspension des opérations militaires dans la région de Camagüey et prorogé ultérieurement cette trêve jusqu'à ce qu'intervienne le Pacte du Zanjón.

En réalité, le pays n’était plus gouverné, et au dernier moment la Chambre a démissionné ; un Comité a été constitué qui a discuté et conclu la paix sans indépendance dans les premiers jours de février. Cet accord, plus ou moins officiel, puisqu’aucun document n’a été signé, date du 10 février 1878.

Entre-temps, que se passait-il dans la région d'Oriente ?

En Oriente, comme dans d'autres régions de l'île, de magnifiques chefs révolutionnaires s'étaient formés. C'est là que la lutte avait commencé et on peut affirmer que Máximo Gómez a été le grand maître des combattants cubains. C'est là que sont nés des généraux aussi remarquables que Calixto García – qui n’a pas pu terminer la guerre parce qu'il avait été fait prisonnier, non sans avoir tenté de se suicider – et de nombreux autres chefs ; Anto­nio Maceo s'avérait un des plus brillants d'entre eux (applaudis­sements).

Maceo, un homme d'origine très humble et, de plus, noir – à une époque où les préjugés raciaux étaient très forts dans notre pays – a commencé à se faire remarquer, à briller grâce à ses qualités, à sa conduite, à ses mérites, à son courage, à ses capacités, en dépit de ses origines et de ce que celles-ci représentaient pour la société de cette époque. Mais un des mérites les plus extraordinaires de Maceo, c’est qu'il ne s’est jamais laissé emporter par la vanité, par l'ambition, par les préjugés. Il a affronté toutes les difficultés imaginables et il a toujours été un soldat absolument loyal, discipliné, respectueux de la loi, des principes révolutionnaires, des ordres émanant des supérieurs et des autorités révolutionnaires légitimement constituées.

On peut dire que jamais au cours de ces dix ans, Maceo ne s’est rendu coupable de la plus légère insubordination, en dépit de sa franchise, de sa sincérité, de son courage à l'heure d'exposer ses idées et ses points de vue, à l'heure de critiquer une erreur, de soutenir une action juste. Non seulement Maceo s’est refusé à prendre part aux séditions militaires qui ont coûté si cher à la Révolution, mais il les a condamnées énergiquement en termes violents : c’est le cas par exemple de la sédition de Lagunas de Varona et de celle de Santa Rita à laquelle on lui avait demandé de participer ; à cette occasion, il a écrit une lettre historique où il a stigmatisé énergiquement les responsables de ces menées (applaudissements).

C'est pourquoi l'exemple de Maceo, sa conduite irréprochable dans tous les domaines, est devenu une sorte de doctrine, une véritable école pour des combattants de l'Est du pays. Les chefs, les officiers et les soldats aux ordres d'Antonio Maceo ont été formés selon ces principes.

C'est pourquoi, dans une grande partie de la région d'Oriente où commandait Maceo, la Révolution était restée forte, intègre : elle n’a pas connu la discorde, ni la désunion, ni l'indiscipline, ni la sédition. Et il faut dire que le rôle joué par cet homme, le rôle joué par Maceo, a été décisif à cet égard.

A l'approche de la tempête qui allait liquider la Révolution, ou plutôt qui allait balayer les espoirs révolutionnaires qu'avait fait naître cette guerre, Gómez et Maceo ont essayé de parer à ces coups, de trouver une réponse adéquate à la campagne militaire et à la politique de Martínez Campos. Mais c’est précisément alors que Gómez et Maceo se trouvaient ensemble afin d’élaborer ces plans qu'a eu lieu le combat de Mejías de Barajagua, au cours duquel Maceo a été grièvement blessé, le 6 août 1877.

Il fallut d’abord que Maceo survive, dans des conditions incroyables, à ses nombreuses blessures, veillé par ses compagnons d’armes qui, avec l'aide d'une petite escorte, ont dû affronter pendant des semaines les troupes ennemies qui mettaient tout en œuvre pour capturer le général Antonio. Cette période à laquelle Maceo a été immobilisé, d'abord dans un état grave, puis convalescent, a duré plusieurs mois, précisément les mois critiques qui allaient aboutir au Pacte du Zanjón.

Dans les premiers jours de janvier, soit plusieurs mois après ce combat, Maceo a été de nouveau sur pied et a pu reprendre la tête de ses troupes ; à cette époque, une grande pénurie d’aliments, d’armes et de munitions sévissait dans les rangs des patriotes de la région orientale.

Que faisait Maceo pendant ces jours-là, alors que le cessez-le-feu s’était produit à Camagüey, ce qu’il ignorait ? Il combattait ; il combattait afin de ravitailler ses troupes principalement en armes et en munitions. Et c’est justement à ce moment-là, à la veille du pacte du Zanjón, alors que le cessez-le-feu était déjà en vigueur à Camagüey et dans d'autres régions, que Maceo a réalisé quelques-unes de ses plus brillantes actions militaires.

Il a attaqué les colonnes de ravitaillement espagnoles, adoptant le principe selon lequel, dans des circonstances déterminées, les révolutionnaires n'ont d’autre recours que d'arracher ses armes à l’ennemi (applaudis­sements). En quinze jours, ses troupes ont liquidé deux convois et deux bataillons de troupes espagnoles aguerries. Maceo a dirigé personnellement trois de ces opérations, qui ont été évoquées à plusieurs reprises ces jours-ci. Une colonne de ravitaillement ennemie avançait de Palma à Florida ; sur le parcours Palma-Victoria, les forces de Maceo ont attaqué le convoi espagnol, ont anéanti l'escorte et se sont emparées du ravitaillement et des munitions : cinquante mille balles. Cela a eu lieu le 29 janvier.

Quatre jours plus tard, ou plutôt six jours, le 4 février, une colonne espagnole se heurte aux forces de Maceo. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’à ce moment-là, Maceo allait à pied. Il faut rappeler que vers la fin de la guerre, les forces des patriotes n'avaient même pas de chevaux. La veille, Maceo avait dépêché une partie de ses forces vers une autre destination, et il n’avait gardé que trente-huit hommes. Avec ses trente-huit hommes, il a repoussé l'attaque de la colonne et il l’a encerclée. Et il est incroyable, mais vraiment incroyable, que Maceo ait pratiquement anéanti en un jour et avec à peine trente-huit hommes le bataillon de chasseurs de Madrid (applaudissements) et qu'il ait causé, selon des données historiques, deux cent soixante morts et fait soixante-dix prisonniers, dont beaucoup étaient blessés. Ça se passait le 4 février 1878.

Trois jours plus tard, avec les armes, le matériel et les balles qu'ils avaient saisis, ils attaquent un autre bataillon espagnol, formé de vétérans, des soldats les plus aguerris ; ils l’encerclent, combattent durant plus de trois jours et remportent la victoire. Il paraît que seuls vingt-cinq hommes de ce bataillon ont réussi à en réchapper sains et saufs ; les autres ont été tués ou blessés, et ceux qui ont pu s’échap­per ont eu la vie sauve grâce à l'arrivée d'une puissante colonne espagnole venue en renfort. Maceo et ses hommes venaient d’infliger une défaite au fameux bataillon de San Quintin (applaudis­sements), l'une des meilleures unités espagnoles, au combat de Camino de San Ulpiano. Autrement dit, en deux combats, celui de Llanada de Juan Mulato et celui de Camino de San Ulpiano, Maceo a anéanti deux bataillons espagnols en moins d'une semaine ; le premier, avec trente-huit hommes, puisque le gros de la troupe avait été envoyé en mission ailleurs, et le deuxième, avec ses troupes au complet. Deux grands combats qui se sont soldés par la défaite des Espagnols.

On parle de différentes batailles et toutes ont leur importance. On parle de Palo Seco, qui a été une grande bataille ; la cavalerie de Máximo Gómez a chargé et s'est abattue comme la foudre sur les troupes espagnoles et elle a liquidé un bataillon (applaudis­sements). On parle du combat de Mal Tiempo, lors de l’invasion : la charge à la machette de Gómez et de Maceo a anéanti le bataillon espagnol, je crois qu’il s’agissait du bataillon des Canaries.

Mais l'histoire, tout au moins celle qu’ont étudiait autrefois, n'accordait pas assez d'importance à ces deux grandes batailles de Maceo, extraordinairement méritoires pour l'époque compte tenu des circonstances dans lesquelles elles se sont déroulées.

On peut donc comprendre la douleur, la surprise de Maceo et de ses hommes lorsqu'ils ont appris qu'au moment même de la victoire de Camino de San Ulpiano, le Pacte du Zanjón venait d’être conclu à Camagüey. Et Maceo, soulevé d’indignation et le cœur plein d’amertume, se demandait ce qu’allaient dire ses hommes, ce qu'allaient dire ses camarades, ce qu'allaient dire les blessés, comment justifier ces morts, ceux qui étaient tombés au cours de ces combats si, au même moment, on acceptait la paix sans l'indépendance.

Cette paix sans indépendance avait été conclue sans que toutes les forces aient été consultées, puisque les forces de Maceo, qui étaient parmi les plus importantes de la révolution, ne l'avaient pas été.

Tels sont les facteurs qui allaient déterminer sa conduite, son attitude, le geste qui a constitué l’une des prouesses patriotiques les plus extraordinaires de nos guerres d'Indépendance, de nos combattants révolutionnaires : la Protestation de Baraguá (applaudissements).

Tout simplement, Maceo et ses forces de la région orientale ne se résignaient pas à une paix sans indépendance (applaudissements).

Maceo a été officiellement informé du Pacte du Zanjón par une commission qui avait été chargée de le mettre au courant alors que les faits étaient déjà consommés. Cette commission était formée de deux hommes. Il y avait aussi un autre patriote cubain, un de nos grands patriotes, Máximo Gómez, qui ne faisait pas partie de la commission, mais qui, compte tenu des circonstances, et fermement décidé à quitter le pays, avait décidé de faire escale en Oriente et de rendre visite à Maceo pour prendre congé de lui. En effet, une grande affection, une grande admiration, un grand respect avaient toujours régné entre Maceo et Máximo Gómez. Máximo Gómez était le maître de Maceo et Maceo, son disciple le plus brillant.

L'entrevue a été dramatique ; Máximo Gómez était absolument persuadé qu'il n'était pas possible, vu les circonstances, de poursuivre la guerre, étant donné tout ce qui s'était passé, tous les facteurs qui entraient en jeu, et Maceo était décidé à la poursuivre. Maceo voulait que Gómez reste dans le pays. Il lui a même demandé s'il comptait le laisser seul dans ces circonstances. Tous deux étaient des hommes ayant de profondes convictions ; chacun avait les siennes ; de plus, Gómez avait une grande expérience, il était le chef militaire cubain le plus chevronné et il était persuadé qu'il était impossible dans ces conditions de poursuivre la guerre ; il a fait ses adieux et il a abandonné le pays.

Maceo a adopté les dispositions pertinentes ; il a réuni ses chefs, il leur a demandé leur avis et il a décidé d'exprimer formellement son désaccord avec le Pacte du Zanjón.

Certains se demanderont pourquoi Maceo a rencontré Martínez Campos pour lui dire qu’il n’était pas d’accord avec la paix si, de toute façon, il voulait poursuivre la guerre. Il y avait à cela une raison très importante : de la même façon qu'au Zanjón on avait officiellement mis un terme à la guerre au nom du peuple en armes, Maceo voulait exprimer officiellement, devant le même chef militaire et devant les mêmes autorités, son désaccord avec le Pacte du Zanjón (applaudis­sements).

Gomez a expliqué que Maceo avait aussi d’autres intentions, qu'il voulait gagner du temps dans ces circonstances difficiles : il lui avait dit qu’on pouvait faire bien des de choses quand on a du temps devant soi ; Gómez lui a même conseillé, au cas où il demanderait un arrêt des hostilités, de le faire durer le plus longtemps possible pour pouvoir s’organiser. C'est alors que Maceo écrit une lettre à Martínez Campos, datée du 21 février, une lettre très intelligente, une lettre très révolutionnaire, et même, pourrait-on dire, une lettre très loyale, dans laquelle il lui propose de suspendre les hostilités pendant quatre mois en alléguant qu'il souhaite consulter tous les districts de la juridiction de Cuba, selon la terminologie de l’époque. Il lui demande une entrevue pour savoir quels avantages une paix sans indépendance pouvait bien représenter pour Cuba, mais il lui dit clairement qu'il ne s'agit pas de parvenir à un accord. Il le prévient : nous allons nous rencontrer, non pour parvenir à un accord quelconque. Nous voulons qu'on nous explique quels sont les avantages d’une paix sans indépendance pour Cuba.

De sorte que Maceo fait deux choses : il essaie de gagner du temps et, surtout, et c’est là le plus important, il se propose d'exprimer officiellement son désaccord avec le Pacte du Zanjón et de préciser qu'il compte poursuivre la lutte, devant le général en chef espagnol en personne, avec qui le Pacte du Zanjon avait été conclu (applaudissements). Parce que l'essentiel, le point essentiel, c'est que Maceo n'a jamais, au grand jamais, approuvé le Pacte du Zanjon. Il n'était pas d’accord et il n'a pas hésité une seconde à rejeter la paix sans indépendance ; son objectif était de rejeter le Pacte et de poursuivre la guerre. C’est pourquoi il a convoqué le chef ennemi.

C'est ce qui ressort clairement des récits historiques sur la glorieuse Protestation de Baraguá. Maceo ne s'entretient pas avec Martínez Campos – comme il le lui avait précisé dans sa lettre – pour conclure quoi que ce soit, car rien n’a été conclu à cette occasion. Le seul engagement contracté par Maceo à Baraguá a été de reprendre le combat huit jours plus tard et de poursuivre la guerre (applaudissements).

Maceo commence par dire à Martínez Campos qu'il est en désaccord avec le Pacte du Zanjón, puis il lui dit personnellement, et lui fait dire par ses compagnons – ceux auxquels il faisait le plus confiance— que les Cubains veulent l'indépendance. Martínez Campos répond que s’il avait su que les combattants cubains voulaient le rencontrer pour lui demander l'impossible, il ne serait pas venu.

Mais il y a encore dans tout ça quelque chose de très important : un des aides de camp de Maceo s’adresse alors à Martinez Campos. Il lui dit en gros : « Bon, vous dites que vous ne pouvez pas accorder l'indépendance. Pourriez-vous accorder la liberté aux esclaves ? »

Que se proposent donc les Cubains dans la Protestation de Baragua ? Premièrement, ils veulent exprimer officiellement leur désaccord et rompre le pacte. Tel est l'objectif politique numéro un. Deuxièmement, préciser qu'ils rompent le pacte parce qu’ils ne veulent pas d'une paix sans indépendance. Mais ils tâtent le terrain en disant à l'Espagnol : « Puisque vous dites que vous ne pouvez pas accorder l’indépendance, pourquoi ne vous engagez-vous pas au moins à accorder la liberté aux esclaves ? »

En d’autres termes, la Protestation de Baraguá contient deux grandes revendications : d'une part l'indépendance de Cuba et, en dernière instance, si on ne peut pas obtenir l'indépendance, obtenir la liberté des esclaves (applaudissements).

Au Zanjón, on avait accordé la liberté aux esclaves africains et asiatiques qui militaient dans les rangs de l’Armée de libération. Cependant, beaucoup des esclaves et des colons asiatiques dans ce cas étaient morts au combat. En fait, il en restait très peu. Par contre, dans l'Ouest du pays – je n’ai pas sous la main les chiffres exacts – il y avait encore en 1878 des centaines de milliers d’esclaves, peut-être 150 000, peut-être 200 000 ou 250 000.

Et il est très important de souligner que la Protestation de Baraguá a consisté non seulement à demander l'indépendance mais aussi, si celle-ci était refusée, à exiger au moins l’affranchissement des esclaves, sans quoi la lutte se poursuivrait. C’est ce qui confère à la Protestation une portée que les bourgeois n'ont certainement pas beaucoup exaltée par le passé. Ils se limitaient à relever la question de l'indépendance, en ignorant volontairement cet aspect politique de la Protestation alors que l'esclavage était le problème social le plus important de l'époque. L'affranchissement des esclaves, l'abolition de l'esclavage constituaient une des revendications sociales des plus justes formulées par les révolutionnaires de la République en armes.

C'est pourquoi il est si beau, le chemin parcouru depuis l'instant où Carlos Manuel de Céspedes a affranchi ses esclaves jusqu’à la minute où, à Baraguá, Maceo a réclamé à Martínez Campos la libération des esclaves, condition indispensable au rétablissement de la paix dans notre pays ! (Applaudissements.)

Telle est l’essence de la Protestation de Baraguá. Maceo et les Cubains se proposaient de poursuivre la guerre et, effectivement, ils ont décidé de rouvrir les hostilités le 23 mars. Ils avaient encore l'espoir de sauvegarder l'étendard de l'indépendance et de la guerre. Mais lorsque les combats ont repris, ils ont dû faire face à de graves problèmes. D'abord, certaines troupes étaient démoralisées, celles de Tunas, celles de Bayamo. Il se posait des problèmes sérieux à Holguín, à Manzanillo. Dans la région centrale, à Camagüey, la paix avait déjà été décidée, de même qu’à Las Villas, où une poignée de courageux combattants poursuivaient néanmoins la lutte. Martinez Cam­pos a pu alors concentrer toutes ses forces sur la région où opéraient les troupes de Maceo, et il continuait d'appliquer une politique intelligente.

Selon l’histoire, lorsque les hostilités ont repris, le 23, que les Cubains se sont heurtés aux troupes espagnoles et qu’ils ont ouvert le feu sur elles, celles-ci n’ont pas riposté. Chose insolite, des soldats criaient : « Vive la paix ! », « Vive Cuba ! » On dit même que certaines colonnes voyaient tomber leurs hommes, morts ou blessés, et ne ripostaient toujours pas, Martinez Campos ayant conçu le plan politique d’attaquer le moral des combattants pour obtenir la paix, de les ramollir. Il ne fait aucun doute que, dans ces circonstances, cette politique a porté ses fruits. Jusqu'aux premiers jours d'avril, les Espagnols n’ont pas répondu pas aux attaques cubaines. Mais, pour l'essentiel, l'armée espagnole se concentrait toute entière sur les troupes cubaines et déclenchait une persécution implacable. Or, ces troupes étaient épuisées et dépourvues de toutes ressources. Et c'est ainsi que, malgré la volonté héroïque de Maceo et de ses combattants et leur résistance acharnée, il leur a été impossible de prolonger la guerre beaucoup plus longtemps.

Ils ont combattu tant qu’ils ont eu des munitions. À la fin, les membres du nouveau Gouvernement révolutionnaire, angoissés à l'idée que Maceo risquait de perdre la vie, alors que la patrie allait avoir tant besoin de lui à l’avenir pour poursuivre la lutte, ont décidé, avec disons une certaine habileté, de dépêcher Maceo à l’étranger en le chargeant de réunir des ressources et des combattants en vue de continuer la guerre. En réalité, Maceo n’a pu obtenir absolument rien à l'étranger.

Autrement dit, Maceo a quitté le pays sans avoir pactisé avec les Espagnols ; il est parti à l'étranger tout en étant en guerre avec les Espagnols. Ceux-ci, naturellement, préféraient lui voir quitter le pays ; ça leur convenait davantage, même si Maceo n'avait pas fait la paix, même si en toute loyauté et en toute liberté, sans trahir le moindre engagement, il se réservait le droit de poursuivre à l'avenir la guerre de libération de notre pays.

Il est juste de dire qu'en assumant cette attitude, Maceo léguait à notre peuple un héritage gigantesque, infini.

Ces temps-ci, la presse a beaucoup parlé de ces événements. Elle a en particulier fait dire à Martí que Baraguá était le fait le plus glorieux de notre histoire. Martí n'a pas dit ça. Il a dit ce que vous pouvez voir écrit sur ce panneau : « La Protestation de Baraguá, un des faits les plus glorieux de notre histoire » (applaudissements). Il ne pouvait pas dire que c’était le fait le plus glorieux, car toute l'histoire cubaine était parsemée de faits glorieux. Et comment douter que le 10 octobre 1868 a été un fait glorieux ? (Applaudissements.) Il ne s'agit pas de comparer les faits entre eux, les gloires entre elles. Sans le 10 Octobre, il n’y aurait pas eu de 15 Mars ; sans Yara, il n'y aurait pas eu de Baraguá ; mais sans Baraguá, Yara n'aurait pas été Yara ! (Applaudissements.)

Ce qu’on peut affirmer en revanche, c’est qu’au moment de la Protestation de Baraguá, l’esprit patriotique et révolutionnaire de notre peuple a atteint sa plus haute expression, son sommet, son apothéose, et que les drapeaux de la patrie et de la révolution, de la véritable révolution, celle de l'indépendance et de la justice sociale, n'avaient jamais été placés aussi haut.

Analyser l'histoire n'est pas facile, porter des jugements sur l'histoire n’est pas facile. On se pose la question de savoir s'il était possible ou non de poursuivre la guerre, si la guerre aurait pu ou non continuer sans le Pacte du Zanjón, et il est difficile d’y répondre. Il faudrait remonter le cours du temps, se demander si les Cubains pouvaient ou non gagner la guerre de 1868. Car ce n’est pas le 10 février que les Cubains ont commencé à perdre la guerre, ni même deux ou trois mois avant ; ils ont commencé à la perdre plusieurs années avant le Pacte du Zanjón.

La guerre n’a jamais pris toute l'envergure qui aurait dû être la sienne parce que l'organisation de la République en armes n'était pas la mieux appropriée aux circonstances.

Dans les années suivantes, Marti a longuement réfléchi sur cette question pour doter la nouvelle guerre d’une organisation plus propice ; il a tiré les leçons de la grande guerre de 1868-1878.

Peut-être les Cubains ont-ils commencé à perdre la guerre dès la destitution de Céspedes, en raison des problèmes et des divisions qu’elle a suscités. Peut-être les Cubains ont-ils commencé à perdre la guerre à Lagunas de Varona, pour continuer de la perdre à Santa Rita, en raison des nombreuses manœuvres régionalistes et des actes d’insubordination. Ils ont perdu la guerre parce que l'invasion de Máximo Gómez vers l’Ouest de l'île n’a pas reçu l’appui suffisant ; ils ont perdu la guerre pour toute une série de raisons.

Il était possible de gagner cette guerre ; théoriquement, c’était possible. Mais considérer théoriquement les problèmes et les considérer tels qu'ils se posent aux hommes dans la pratique sont deux choses différentes. La théorie est une chose et la pratique, les faits, en sont une autre. Quelle théorie connaissaient nos patriotes lorsqu'ils ont lancé la guerre de 1868 ? Quels principes scientifiques – qui sont clairs aujourd’hui pour nous – connaissaient-ils ? Quelles techniques militaires connaissaient-ils, étant donné que seules la lutte et de longues années d'expérience et de réflexion sur les faits historiques passés peuvent fournir cet enseignement ?

Ces patriotes faisaient de leur mieux avec la meilleure bonne foi du monde, conformément à leur expérience et aux idées qui prévalaient à cette époque sur les plans politique et militaire. S’il ne s'était pas passé telle ou telle chose, ou telle autre chose encore, ils auraient gagné la guerre. Sans le Pacte du Zanjón, aurait-il été possible de poursuivre la lutte ? Peut-être ça aurait-il été possible, peut-être... Mais qui oserait l’affirmer en toute certitude ?

Aujourd'hui, chacun de nous pense que, dans ces circonstances-là, il aurait poursuivi la lutte. Aujourd’hui, nous avons acquis toutes ces expériences, toute cette nouvelle culture, toutes ces connaissances. Nous savons qu’il suffit de trois hommes pour résister. Nous défendons le principe selon lequel tant qu'il reste un homme avec un fusil, personne ne doit se rendre (applaudissements). Nous défendons le principe selon lequel tant qu'il reste un homme avec un fusil, la guerre n'est pas perdue. Et c’est nous maintenant, nous qui avons reçu un héritage historique si riche, une expérience si grande, une culture, une philosophie, une série de principes, c’est nous qui pouvons proclamer ça, et non seulement le proclamer, mais le mettre en pratique.

Mais y a-t-il une commune mesure entre la conduite de ces hommes et la nôtre ? Bien sûr que non. Moralement nous n'avons pas le droit de faire la comparaison ; nous ne pouvons pas nous croire supérieurs en quoi que ce soit. Les conditions dans lesquelles ils se trouvaient au moment du Pacte du Zanjón étaient extrêmement difficiles, sur tous les plans : les troupes cubaines ne recevaient aucun ravitaillement militaire, elles ne recevaient aucun renfort de l'étranger depuis cinq ans ; les troupes cubaines manquaient de vêtements, de chaussures, de nourriture, d’armes, de munitions ; elles n'avaient même plus de chevaux. Tout à l'heure, lorsque la cavalerie défilait devant moi, je songeais qu'au moment de Baraguá, Maceo n'avait déjà plus de cheval ; cela faisait des mois que les troupes de Maceo n’avaient plus de chevaux, qu’elles allaient à pied. En Camagüey où, au début de la guerre, en 1868, il y avait plus de 350 000 têtes de bétail, il ne restait plus rien, ni bétail, ni chevaux, rien.

Si l’on demande à un révolutionnaire d’aujourd'hui – je dis bien d'aujourd'hui – à un enfant de cette Révolution, si dans ces conditions il était possible de poursuivre la lutte, il répondra logiquement que oui. Et c’est juste, c'est juste (applaudissements). Mais le révolutionnaire d’aujourd’hui a reçu une autre éducation, il a d'autres principes, un autre héritage spirituel et patriotique. Imaginez un peu ces compatriotes, dont beaucoup étaient analphabètes, au milieu de ces circonstances-là, de ces conditions-là.

C’est pourquoi nous devons faire très attention quand nous procédons à ce genre d'analyse historique. Nous ne devons pas oublier que beaucoup de ces hommes dont le raisonnement n'était pas le nôtre ont été néanmoins de grands patriotes. Par exemple, Máximo Gómez. Il ne porte absolument pas la responsabilité de ce qui s’est passé au Zanjón, nous pouvons même affirmer qu'il n'a rien à voir avec le Zanjón. Je dirais plutôt qu’il a été victime des erreurs qui se sont produites pendant la guerre, victime du Zanjón. Cependant, il est parvenu à la conclusion que dans ces circonstances il était impossible de poursuivre la lutte. Certains lui ont reproché de n'avoir rien fait pour éviter le Pacte du Zanjón. La vérité, c’est que malheureusement, toute sa vie durant, Máximo Gómez a eu un complexe : celui d’être étranger, de n'être pas né ici (applaudissements), alors qu'il aurait dû se sentir Cubain à cent pour cent, à mille pour mille, dès le moment où il a empoigné les armes en faveur de l'indépendance de Cuba. Il a lutté pendant dix ans, il a été le plus brillant des chefs, le maître des chefs cubains. Cependant, au moment du Zanjón, il se considérait Dominicain, il pensait qu'il n'avait pas le droit de s’immiscer dans les affaires des Cubains, que c'était à eux de prendre les décisions. Ce n'est pas tout : en 1895 encore, lorsque la pseudo-république a enfin triomphé, ou plutôt est née, quand on a pu enfin hisser le drapeau cubain et dire qu'on était indépendant – nous savons tous aujourd'hui qu'il n’en était rien – même à ce moment-là, Máximo Gómez se sentait un étranger. Pourtant, y a-t-il un homme qui ait plus fait pour notre patrie que Máximo Gómez ? Et, aux côtés de Máximo Gómez, des dizaines, des centaines, des milliers de combattants qui ont connu l'amertume du Zanjón ont repris les armes en 1895, pour lutter pour notre indépendance avec un héroïsme extraordinaire.

C'est pourquoi nous devons faire très attention lorsque nous exaltons et mettons en valeur tous les aspects, toute la grandeur de la Protestation de Baraguá ; nous devons faire attention et nous montrer objectifs dans les jugements que nous portons sur les patriotes cubains qui, dans ces circonstances malheureuses, n'avaient ni la vision, ni l'esprit, ni la profondeur, ni la perspicacité, ni le génie de Maceo. Je pense qu’il serait juste et nécessaire d'entreprendre des études sérieuses sur tous ces problèmes, et cela sera fait, car les nouvelles générations, mieux préparées et plus cultivées, pourront analyser plus à fond toutes ces étapes de notre histoire. Il n'en reste pas moins que nous devons être très prudents à l’heure d'apprécier la valeur morale de ces hommes. Entrons dans l'histoire de nos patriotes, mais tirons notre chapeau avant d'y entrer (applaudissements).

La théorie est une chose et la pratique en est une autre. Il faut songer que les peuples et les hommes qui font l'histoire ne se promènent pas avec un petit livre à la main, un petit livre de recettes pour faire l'histoire. Aujourd'hui la politique est beaucoup plus scientifique, à tous les égards, grâce précisément à Marx, à Engels et à Lénine (applaudissements)), qui nous ont enseigné beaucoup de choses, beaucoup de vérités et beaucoup de lois sociales qui peinent nous guider. Comme nous l'avons expliqué à d'autres occasions, notre génération a déjà eu le privilège de s'appuyer sur ces lois et sur toute l'expérience, l'énorme expérience de l’histoire de notre patrie. C'est important. Lorsque nous analysons l'histoire, nous devons être aussi objectifs que possible, aussi honnêtes, aussi sincères et critiques que possible ; il faut être objectif et non subjectif, il ne faut pas juger les hommes de cette époque avec la mentalité d’aujourd’hui et les principes d’aujourd'hui ; il faut nous méfier ,des qualificatifs car il se pourrait bien qu’un érudit dise un jour que Máximo Gómez est un traître, parce qu'il juge Maximo Gomez en fonction du Zanjón, sans tenir compte des réalités objectives, de ce qu’a été et de ce qu’a représenté Máximo Gómez.

Quand Máximo Gómez a quitté Camagüey et débarqué à la Jamaïque, il y été reçu quasiment comme un traître. Par qui ? Par les émigrés cubains : ceux qui se trouvaient non pas à Camagüey mais à la Jamaïque. Et il faut dire que Máximo Gómez et sa famille ont souffert de la faim à la Jamaïque et qu’il a dû se mettre à travailler. Son salaire ? La nourriture et dix centimes. Naturellement, à l'époque, dix centimes valaient un peu plus que maintenant, n'est-­ce pas ? Mais le fait est qu’il a dû travailler, pour lui et pour sa famille, pour dix centimes.

Ce n'est pas seulement le cas de Máximo Gómez. Quand Maceo est arrivé à la Jamaïque, il a été pratiquement reçu de la même façon. Car Maceo s'était embarqué sur un navire espagnol, bien entendu ; il ne pouvait tout de même pas aller à la Jamaïque à la nage ! Maceo a fait ce qu’il devait faire, tout ce qu’il devait faire, et il accomplissait une mission ; il ne pouvait quitter dans ces circonstances le pays qu’en profitant de l'occasion qui se présentait pour gagner la Jamaïque. De la même façon, avant la République bolchevique, en agissant avec toute l'audace et le courage qui le caractérisaient, Lénine a pris un train allemand pour regagner sa patrie (applaudissements). Par la suite, les contre-révolutionnaires et les réactionnaires ont pris ce prétexte pour attaquer Lénine.

Toujours est-il que les émigrés ont accueilli les patriotes Máximo Gómez et Maceo dans cet état d’esprit. Voilà pourquoi nous ne saurions jouer le triste rôle d’émigrés de l'histoire qui se mêlent de juger aujourd'hui, avec les idées et les critères d'aujourd'hui, les problèmes d’alors.

Nous sommes absolument d'accord pour qu'on fasse des recherches, pour qu'on analyse, pour qu’on réalise des études scientifiques sur l'histoire de notre pays, mais ne jugeons pas les hommes de cette époque avec la mentalité de ces émigrés. Soyons prudents à l'heure d’analyser les facteurs objectifs et les facteurs subjectifs, ne portons aucun jugement sur ces hommes en nous fondant sur les critères d'aujourd'hui et sur les facteurs subjectifs d'aujourd’hui.

Pour notre génération, celle qui est ici présente, plus ou moins jeune, plus mûre, c’est un grand privilège, une grande chance, un grand honneur d'avoir pu s'inspirer d'exemples comme celui que nous évoquons aujourd'hui. En effet, il faut dire que notre génération a recueilli l'héritage, l'esprit de tout ce qu'ont fait ces générations : l’héritage de Céspedes et du soulèvement de Yara ; l'héritage d'Agramonte, de Calixto García, de Máximo Gómez, l'héritage de Maceo, l'héritage de ce geste singulier et extraordinaire qu’a été la Protestation de Baraguá ; l'héritage de nos luttes pour l'indépendance, l'expérience de toutes les générations antérieures. En effet, les combattants révolutionnaires de notre époque ont toujours eu présentes à l’esprit la Protestation de Baraguá et l'idée de ne pas se rendre, de ne jamais s’avouer vaincus. Ils ont toujours eu ça présent à l'esprit.

Pour notre part, nous avons eu nos revers pénibles ; nous les avons eus à la Moncada. Ah ! mais nous ne nous sommes jamais avoués vaincus ! Les combattants de la Moncada ne se sont jamais avoués vaincus, ils ne se sont jamais résignés à la défaite (applaudissements). C'était l'esprit de la Protestation de Baraguá ! Aucun combattant emprisonné ne s'est jamais laissé humilier, aucun n'a jamais accepté la défaite. C'était l'esprit de Baraguá. Après de débarquement du Granma, nous avons essuyé de grands revers, de très grands revers, qui auraient pu sembler insurmontables, mais personne ne s'est avoué vaincu (applaudissements). Ceux qui ont survécu ont décidé de continuer la lutte. C'était l'esprit de Baraguá !

Bien sûr, lorsque nous n'étions plus qu'une poignée d'hommes, la question pouvait aussi se poser : était-il possible de poursuivre la lutte ? Il se peut qu'en théorie – suivez-moi bien – un érudit, un grand érudit ait abouti à la conclusion qu’il n’était pas possible de continuer la lutte. II se trouve que nous n’étions pas de grands érudits, nous étions des combattants et nous avions la conviction qu'on pouvait poursuivre la lutte. Nous avons continué la lutte et remporté la victoire (applaudissements).

Il n'en reste pas moins que nous ne pouvons pas comparer cette situation avec celle du Zanjón.

Certains en concluront peut-être que si les mambís avaient continué de lutter, ils auraient de toute façon obtenu la victoire. Je ne me risque pas à l'affirmer, je n'oserais pas le faire.

Par contre, j’oserais affirmer que n'importe lequel d'entre vous et n'importe lequel d’entre nous continuerait de lutter jusqu'à la mort, tranquillement, si cela s'avérait nécessaire (applaudissements). Car mourir est aussi une victoire, quand on meurt pour une cause juste (applaudissements). Parce que nous savons que d'autres prennent la relève de ceux qui tombent et parce que, comme l'affirmait Mella, « même après notre mort, nous sommes utiles, parce que nous servons d'étendard » (applaudissements).

Après le débarquement du Granma, notre groupe a été décimé, mais il existait dans notre pays d’importantes forces potentielles humaines et matérielles. Nous ne faisions que commencer. Et ce n’est pas la même chose d'allumer un grand brasier que d’essayer d’en raviver les cendres (applaudissements). Au moment du Pacte du Zanjón, il ne restait dans notre patrie que les cendres d'un gigantesque brasier, à la différence de 1868 où il existait alors en puissance toutes les forces humaines et matérielles.

C'est pourquoi, quelles que soient les expériences ultérieures, si nous voulons être justes, nous devons juger avec un grand respect l’effort de ces hommes. Je crois sincèrement que ce n’était pas rien que de passer dix ans à combattre dans les conditions qu’ont connues ces Cubains, ce n’était pas du tout facile.

Nous, nous avons lutté pendant vingt-cinq mois ; eux, pendant cent vingt mois (applaudissements). Il existe des analogies entre nos deux luttes : nous ne recevions pas non plus d'armes de l’étranger et nous étions aussi obligés de livrer combat pour arracher les fusils, les balles, les munitions et tout le reste à l'ennemi. Ah ! mais, pendant ces vingt-cinq mois, après les jours difficiles du début, après six ou sept mois – ou un peu plus – passés dans les montagnes, quand nous avons pu regrouper quelques forces, nous n’avons plus connu la faim. En effet, il y avait de nombreux troupeaux dans toutes les plaines des alentours de la Sierra Maestra, et nous pouvions non seulement nous ravitailler mais aussi ravitailler toute la population civile bloquée dans la Sierra Maestra (applaudissements). Il y avait du bétail. J'imagine qu'il en était de même dans toutes les plaines de Cuba, en Camagüey, en Las Villas, etc., quand la guerre de 68 a éclaté. Mais à la fin, il n'y avait plus rien.

La situation était aussi extrêmement pénible pour d'autres raisons.

Les Cubains de la guerre de 68 se trouvaient dans le maquis avec leurs familles : leurs parents, leurs femmes, leurs enfants. Et les Espagnols, avec différents types de forces rasaient les villages, brûlaient les maisons, assassinaient, violaient les femmes, les tuaient, tuaient les enfants, les parents, tout le monde. Dans cette guerre, les soldats n'exposaient pas seulement leur propre vie, mais la vie des êtres qui leur étaient les plus proches, les plus chers.

Ainsi ces hommes ont-ils vécu pendant dix ans avec leurs familles exposées à la mort, et bien des enfants des chefs militaires ont vu le jour dans le maquis. Le mérite de ces hommes est immense, ils ont consenti d'énormes sacrifices.

Notre génération est une génération privilégiée : elle a hérité du fruit des efforts, de l’expérience, du travail de toutes les générations précédentes, de 1868 à nos jours, au cours des luttes pour l'indépendance et sous la république, la pseudo-république, la république néo-colonisée, qui ont aussi été des années très dures.

Voilà pourquoi nous sommes une génération privilégiée, mais nous avons aussi des obligations très importantes, car nous devons continuer de bâtir cette histoire et poursuivre cette marche révolutionnaire pour le bien des générations futures.

Nous savons aujourd'hui ce qu’est notre peuple, ce qu'il représente ; nous connaissons ses valeurs morales, car une patrie, une révolution, une conscience révolutionnaire, le patriotisme socialiste, l'internationalisme prolétarien sont des valeurs morales, une conscience révolutionnaire au sein du peuple (applaudissements). Tout ça n'est pas né en un jour. Il a fallu plus de cent ans pour en arriver là.

Il y eut également une certaine forme d’internationalisme durant nos guerres d’Indépendance, car beaucoup de Dominicains et de révolutionnaires d'autres pays sont venus lutter à nos côtés. J’ai mentionné aujourd'hui un des plus illustres : Máximo Gómez. Pendant notre guerre révolutionnaire, alors que les problèmes n’étaient envisagés que sur le plan purement national, alors que les questions de l'internationalisme ne se posaient pas encore, nous avons eu le Che avec nous, qui a été lui aussi un illustre et remarquable combattant internationaliste (applaudissements prolongés). Aujourd'hui nous possédons cet immense trésor, cet héritage extraordinaire qui permet à notre peuple d'être ce qu'il est et d’en être fier à juste titre (applaudissements).

Cet anniversaire a coïncidé avec beaucoup d’autres. Il a coïncidé avec le 5 mars, date de la fondation du IIIe Front (applaudissements) ; il a coïncidé avec le 11 mars, date du vingtième anniversaire de la fondation du IIe Front (applaudissements). Beaucoup d'autres vingtièmes anniversaires seront célébrés cette année. C'est-à-dire que ce centenaire va de pair avec les vingtièmes anniversaires. Ils vont de pair. Quand la protestation de Baraguá arrivera à son cent dixième anniversaire, les IIIe et IIe Fronts en seront à leur trentième anniversaire. Ils vont de dix en dix (applaudissements). Lorsqu'on célébrera le vingt-cinquième anniversaire de la Moncada, ce sera aussi le cent vingt-cinquième anniversaire de la naissance de José Marti (applaudissements). Ils vont aussi successivement, de cinq en cinq, de dix en dix, de cent en cent... comme si les chiffres voulaient montrer par leur symbolisme les rapports étroits qui existent entre tous ces événements.

Il y a une fleur, une couronne, un hommage que nous pouvons offrir au glorieux général Antonio Maceo à l’occasion de ce centenaire : l'accomplissement victorieux de la mission internationaliste de Cuba en Éthiopie (applaudissements prolongés). C'est comme un grand hommage que ses enfants rendent au général Antonio.

Lorsque notre Bureau politique a pris la décision d’offrir à l’héroïque peuple frère éthiopien la coopération indispensable pour l’aider à sauvegarder son intégrité territoriale, son indépendance et sa Révolution (applaudissements), il a donné à cette mission internationaliste le nom codée de Protestation de Baraguá (applaudissements).

J’ai déjà abordé ce sujet. Notre peuple a eu hier l’occasion de lire d’amples informations sur le déroulement des événements qui ont conduit à la grande victoire de la Révolution éthiopienne sur le front Est.

L'Éthiopie peut paraître un pays lointain ; en réalité, à l’heure actuelle, il n'y a plus de distance, pas plus dans le temps que dans l'espace.

Nous pouvons mesurer aujourd'hui même ce que représente la distance dans le temps. La Protestation de Baraguá a eu lieu il y a exactement cent ans. Cent ans se sont écoulés, et voyez où nous en sommes. A quoi a servi le temps, si ce n’est à multiplier l’héroïsme et la gloire d'il y a cent ans ! (Applaudissements.) Nous nous sentons aujourd'hui aussi proches de Maceo, de son héroïsme, de ses hauts faits que si la Protestation de Baraguá avait eu lieu hier. Nous n’avons pas l'impression que cent ans se sont écoulés depuis, car l’esprit de la Protestation de Baraguá est présent, ici, parmi nous, en ce moment même (applaudissements prolongés).

De la même façon, l'espace n'est plus rien pour notre Révolution. Nous nous sentons aussi proches et aussi solidaires des révolutionnaires éthiopiens que s’ils étaient ici, à nos côtés, devant nous, aux côtés de Maceo, devant Maceo (applaudissements).

Pour les révolutionnaires, la distance n’existe pratiquement plus.

Je vous disais que d’amples informations ont été publiées hier sur l’Éthiopie. Il est bon de préciser que la tradition a été respectée tout au long de notre révolution : nous sommes toujours fidèles aux faits et à la vérité. Tous les citoyens qui ont lu ces nouvelles hier savent qu'il n'y a pas l'ombre d'un mensonge dans ces informations, car, depuis la lutte dans la Sierra Maestra et pendant vingt ans, nous nous en sommes toujours tenu strictement à la vérité, nous avons fait confiance au peuple, nous l'avons informé. La Révolution travaille avec les masses, elle est absolument unie aux masses et à la vérité. C'est pourquoi aucun citoyen n’a douté un seul instant que les informations publiées par Granma hier étaient la vérité et rien que la vérité (applaudissements).

Certaines agences de presse impérialistes ont dit que le peuple cubain avait été mis officiellement au courant hier de l’aide internationaliste que nous avions offerte à l'Éthiopie. Si elles veulent dire que la nouvelle a été annoncée officiellement hier, nous le leur concédons ; mais en réalité, il y a longtemps que le peuple le savait, non officiellement, mais comme nous savons les choses, comme nous faisons les choses, comme nous savons faire les choses entre nous (applaudissements prolongés).

Il en était de même lorsque nous apportions notre aide internationaliste à l'Angola. Le peuple le sait, car comment faisons-nous les choses si ce n'est avec le peuple ? Naturellement, il y a des circonstances où certaines choses ne peuvent pas être dites officiellement, parce que si vous allez mener à bien une opération compliquée, dangereuse, il faut le faire avec discrétion, tout simplement : on ne peut pas se mettre à le crier sur les toits (rires). Mais qui sont ceux qui sont partis accomplir cette mission si ce n'est les ouvriers et les paysans de notre réserve, les officiers et les soldats de nos forces permanentes ? (Applaudissements.) Toutes nos unités de combat le savaient, de même que toutes les unités de la réserve. Et les hommes décidés à partir n'étaient pas mille ou dix mille ; des centaines de milliers de nos concitoyens étaient prêts à accomplir cette mission internationaliste, comme dans le cas de l'Angola (applaudissements).

Nous ne faisons jamais rien à l’insu du peuple. Et il arrive souvent que le Parti et les organisations de masse transmettent au peuple des informations qui ne paraissent pas à la une.

Que feraient le Parti et la direction du Parti sans les masses ? De toute façon, nous sommes heureux de constater que nos masses sont très discrètes (applaudissements). Il arrive ici qu'un secret soit partagé et gardé par des millions de personnes (applaudissements).

Voilà ce que c'est que la Révolution, voilà ce qu’est l'esprit de notre peuple, voilà ce qu’est l'héritage de Maceo et de la Protestation de Baraguá. L’esprit de 1868 et de 1895 est encore présent parmi notre peuple.

Lorsque nous parlons des héros du passé, nous ne nous promenons pas à travers l’histoire en simples touristes ou en observateurs passifs des prouesses réalisées par les autres. Ce peuple peut parler des héros d’hier parce qu'il compte aujourd’hui beaucoup de héros (applaudissements). Il peut parler de ses braves mambís parce qu'il est un peuple de mambís (applaudissements). Il peut parler des héros du passé, parce qu'il est aujourd'hui un peuple de héros, qui s'acquitte modestement de son devoir ! (Applaudissements.)

Notre Révolution n'est pas en quête de gloire, elle n’est pas en quête de prestige, elle ne fait qu’appliquer ses principes, ses postulats internationalistes (applaudissements).

Nous ne pouvions évidemment pas parler publiquement de l'aide internationaliste que nous apportions aux Éthiopiens avant qu’ils n'en parlent eux-mêmes. Tant que les Éthiopiens ont jugé préférable d'observer la discrétion, nous sommes restés discrets. Maintenant que les Éthiopiens ont fait des déclarations officielles, notre Parti est aussi en mesure de le faire. Le secret n’a pas besoin d'être gardé indéfiniment par des millions de personnes. Il s’agit maintenant d'un secret national et international (rires).

Nous ne disons pas cela pour nous vanter. Loin de nous l'idée de nous vanter de quoi que ce soit ! En premier lieu, nous devons dire que nous déplorons profondément que ce conflit ait éclaté entre la Somalie et l’Éthiopie, car nous avons tout fait pour l'éviter. Il y a environ un au, à peu près à la même date – peut-être après le 20 mars, je ne me rappelle pas exactement – nous avons préparé une réunion à Aden avec les dirigeants de l’Éthiopie, du Yémen et de la Somalie pour tenter de résoudre les problèmes existant entre la Somalie et l’Éthiopie, justement afin d'éviter une guerre, un conflit qui constituerait une trahison du mouvement révolutionnaire international, afin d'éviter que la direction somalienne, compte tenu de ses visées expansionnistes et de son attitude agressive, ne passe aux mains de l'impérialisme. Mais nous n’avons pas pu l’éviter.

En Somalie, il y avait deux forces en présence : des forces de droite et des forces réellement de gauche. Pendant de nombreuses années, les dirigeants ont parlé aux masses de socialisme et de progrès, mais, en fait, au sein du gouvernement il existait un puissant groupe réactionnaire, de droite, partisan d'une alliance avec l'impérialisme, avec la réaction arabe, avec l'Arabie saoudite, avec l’Iran, etc. Ce groupe a progressivement mis à l'écart les gens de gauche qu’il y avait dans le pays, en misant sur le chauvinisme, comme l’ont toujours fait les réactionnaires. En effet, faute de doctrine sociale, de doctrine politique et de doctrine révolutionnaire, les réactionnaires recourent à l’exaltation des instincts les plus bas de la population, et ils utilisent surtout le chauvinisme.

L’histoire est parsemée d'exemples de ce genre. Par exemple, qu’est-ce qu’a été le fascisme en Italie et en Allemagne ? L’exaltation des préjugés raciaux. Au lieu de combattre le préjugé racial, comme le fait la Révolution, le fascisme exalte ce préjugé et le transforme en haine. C'est ce qu’ont fait les fascistes de l'Allemagne hitlérienne. C’est au nom du nationalisme, des visées expansionnistes, des préjugés raciaux qu'ils ont entrepris d’occuper l’Europe et d’envahir l’URSS. Dites-moi ce que pouvait bien faire un soldat allemand à Stalingrad, en plein territoire soviétique, à mille cinq cents kilomètres de ses frontières ? Comment peut-on entraîner des hommes dans cette folie ? Tout simplement au nom d’un nationalisme étriqué, du chauvinisme, de la haine entre les nations, des visées expansionnistes.

De tout temps, tous les réactionnaires ont utilisé ces procédés. Au sein du gouvernement somalien, la fraction de droite a précisément brandi ces étendards : les haines nationales, le chauvinisme, les revendications territoriales, l'idée de la Grande Somalie qui devait inclure Djibouti, le tiers de l’Éthiopie et une partie du Kenya, alors qu'en faisant preuve d'un sens profond des réalités et de beaucoup de sagesse, tous les États africains avaient décidé de décréter l'intangibilité des frontières héritées du colonialisme. Car ceux qui connaissent l'Afrique savent que dans chaque pays africain, il y a des tribus qui vivent à cheval sur les frontières, dans tous les pays d'Afrique. De nombreux États africains n'ont pas encore entièrement dépassé le stade de l'organisation tribale. Le fait qu’un pays puisse conquérir par la force un territoire qu'il revendique aurait constitué un précédent conduisant à une véritable catastrophe pour toute l'Afrique. Voilà pourquoi les États africains ont dit : il ne doit pas y avoir de changements de frontières et il est hors de question de recourir à la force pour les changer.

Cependant, l'agression n'a pas été déclenchée seulement pour une question de chauvinisme. L'Éthiopie a vécu pendant des siècles sous un régime féodal qui a précisément été liquidé par la Révolution éthiopienne. Or, 85 ou 90 p. 100 de la population du pays est formée de paysans. De surcroît, l’esclavage existait encore en Éthiopie avant la Révolution, jusqu'en 1973 pratiquement. Celui qui n'était pas un serf attaché à la glèbe, un paysan attaché à la terre, pouvait être réduit à l'esclavage.

De sorte que la Révolution a bouleversé la vie du peuple éthiopien. Elle a libéré des dizaines de millions de paysans exploités, elle a libéré les masses exploitées. Sa classe ouvrière, qui n'est pas très nombreuse, a également été libérée par la Révolution. La femme, qui était affreusement opprimée, victime d'une injustice et d'une oppression indescriptibles, a été libérée par la Révolution éthiopienne.

La Révolution éthiopienne n'a pas seulement liquidé le féodalisme, elle s’est aussi engagée sur la voie du socialisme (applaudissements). La Révolution éthiopienne constitue précisément un des événements les plus importants survenus en Afrique au cours des dernières années,

L'Éthiopie est un pays qui a toujours tenu bon : c’est un des rares pays africains à avoir maintenu son indépendance pendant des siècles en luttant résolument jusqu'au jour où les fascistes italiens, voulant à tout prix avoir une colonie, l’ont envahi avec la complicité des puissances colonialistes européennes. Mais le peuple éthiopien est un peuple de combattants. A la fin du siècle dernier déjà, il avait refoulé les Italiens, qui n’avaient pas pu alors s’emparer du pays. Mais, en 1935, grâce à leur supériorité technique, à la mobilisation de nombreux moyens et à la complicité de l'impérialisme, les fascistes italiens se sont emparés de l'Éthiopie dont les habitants ont lutté avec acharnement durant les années d'occupation. Le courage et la combativité sont une des caractéristiques du peuple éthiopien.

Or, l'agression somalienne a lieu précisément au moment où éclate la Révolution, ou plutôt, non pas lorsqu’elle éclate, mais lorsque le secteur le plus radical et le plus révolutionnaire prend le pouvoir.

Auparavant, l'Éthiopie de l’empereur était l’alliée des États-Unis, l’alliée de l’impérialisme. La faction de droite de la Somalie avait-elle pensé alors, pendant toutes ces années précédentes, à l’envahir? Non. Pourquoi ? Parce qu'elle ne voulait pas avoir maille à partir avec l'impérialisme. Lorsque la Révolution éclate mais que sa position n'est pas encore bien définie, elle n'ose pas non plus attaquer l'Éthiopie.

C'est en février de l'an dernier, quand les secteurs les plus importants, les plus radicaux, les plus révolutionnaires dirigés par le compañero Mengistu Haïlé Mariam (applaudissements) assument la direction de la Révolution éthiopienne et proclament leur volonté de construire le socialisme que l’Éthiopie rompt ses liens avec l'impérialisme. Et c’est précisément à ce moment-là que la faction de droite du gouvernement somalien trouve bon de l’envahir, parce qu’elle savait que l’envahir revenait à coopérer avec l'impérialisme pour détruire une grande Révolution et que l’impérialisme en serait ravi. Elle savait que les puissances de l'OTAN seraient également ravies de voir la Somalie contribuer à liquider la Révolution éthiopienne.

Nous nous rendons parfaitement compte aujourd’hui que lorsque je me suis réuni en mars de l'année dernière à Aden avec les dirigeants somaliens, ceux-ci avaient déjà entièrement conçu leurs plans – qu'ils ont mis plus tard à exécution – d’envahir l’Éthiopie, car ils croyaient que c'était là l'occasion historique, que l’impérialisme yankee et les pays de l'OTAN allaient accueillir à bras ouverts la nouvelle.

Vous n'ignorez pas qu’il existe un grand nombre de pays arabes révolutionnaires et un groupe de pays arabes réactionnaires. Ces pays arabes réactionnaires étaient également enchantés à l’idée d’une agression contre l'Éthiopie qui détruirait la Révolution. Un de ces pays, gouverné par une monarchie antédiluvienne, l'Arabie saoudite, avait particulièrement intérêt à la liquidation de la Révolution éthiopienne : « Si l’on rosse ton voisin, tu peux préparer tes reins. » Un empereur était tombé en Éthiopie, et il était normal que l'empereur d'Arabie saoudite – le roi, ou comme ils voudront l'appeler – ait pris peur.

C’était aussi le cas de l'Iran, allié réactionnaire de l'impérialisme yankee, un gouvernement criminel et répressif, dirigé par un shah – un shah est un roi, ou un empereur... enfin quelque chose comme ça (rires) – bref, une monarchie féodale également, disons une monarchie absolue, décidée elle aussi à détruire la Révolution éthiopienne et à encourager la Somalie dans son agression.

La faction de droite, misant sur ces possibilités, gonflée par l'espoir de recevoir les torrents de pétrodollars de l'Arabie saoudite et de l'Iran, ainsi que l'aide économique de l'OTAN et des États-Unis, a profité du fait que l’Éthiopie était en train de faire sa Révolution pour imposer sa politique de guerre et d’agression. C’est là le grand crime commis par les dirigeants somaliens : envahir l'Éthiopie pour détruire sa Révolution, en se mettant au service des pays réactionnaires de la zone, de l'OTAN et de l'impérialisme.

À la réunion d'Aden, les dirigeants somaliens s'étaient solennellement engagés, avaient juré solennellement que jamais, au grand jamais, ils n’envahiraient l’Éthiopie, que jamais ils n'attaqueraient militairement l’Éthiopie. En réalité, ils avaient déjà tout planifié, et au mois de juillet ils ont lancé l'agression.

Cependant, l'Éthiopie est un grand pays, sa population est nombreuse, elle a des soldats, de très bons soldats. C’est pour ça qu’au début, nous avions pris la décision, sur sa demande, de n'envoyer que quelques dizaines d'instructeurs et d'assesseurs – environ une centaine – afin d’entraîner les unités éthiopiennes, de leur apprendre à se servir de leurs armes modernes de provenance différente ; comme l'empereur était un allié des États-Unis, ils avaient des armes étasuniennes, mais ils commençaient à recevoir des armes des pays socialistes, au maniement desquelles ils n'étaient pas habitués.

Pour notre part, nous pensions que les aider à entraîner leur armée ne serait qu’une question de temps, car lorsque l'armée éthiopienne sera bien préparée et bien armée elle n'aura peur de personne, vous pouvez en être absolument convaincus, de personne ! (Applaudissements.)

Qu'est-ce donc qui a déterminé l'envoi de soldats ? L’ampleur et la portée de l’agression somalienne La Somalie se préparait depuis des années. La Somalie avait brandi le drapeau du socialisme, se présentait comme un pays progressiste, comme un pays allié du monde progressiste – je parle du gouvernement somalien – et avait peu à peu constitué son armée : elle disposait de centaines de chars, de centaines de pièces d'artillerie, d’avions, de nombreuses brigades d'infanterie motorisée, et presque toutes ces armes et ces unités ont été utilisées à un moment donné dans l’invasion de l'Éthiopie.

L'Éthiopie devait lutter à de nombreux points de son territoire contre des groupes de bandits contre-révolutionnaires dirigés par les féodaux, aidés depuis l'étranger, et contre les mouvements sécessionnistes du Nord du pays, aidés eux aussi actuellement par les pays réactionnaires de la région. La situation était devenue difficile pour l’Éthiopie, le temps pressait. Si les Éthiopiens avaient disposé d'un peu plus de temps, ils auraient appris à manier tous les chars, l'artillerie et les autres armes modernes, Nous aurions contribué, aux côtés d'autres pays socialistes, à l'entraînement de leurs soldats. Mais la situation critique qui prévalait fin novembre a obligé le gouvernement éthiopien à formuler sa demande, à demander l’envoi urgent de spécialistes de chars, d'artillerie et d’aviation afin de l’aider à sauver le pays. Et c’est ce que nous avons fait.

Nos spécialistes, comme l'a publié Granma, ont commencé à arriver en Éthiopie à partir de la mi-décembre et début janvier : des spécialistes en blindés, en artillerie et en aviation, car dans ces circonstances, les Éthiopiens n’avaient plus le temps d’assimiler la nouvelle technique. En réalité, ils n'avaient pas besoin d’infanterie : ils possèdent une infanterie nombreuse, et si nous avons envoyé quelques unités moyennes d'infanterie cubaine à l’Est, c’était plutôt afin de garantir la coordination avec les unités de chars et d'artillerie conduites par des spécialistes cubains, car vous savez qu'il existe le problème de la langue et une unité de chars a parfois besoin de compter sur la coopération de l'infanterie.

Mais, en réalité, l'envoi de spécialistes a constitué l’essentiel de notre aide à l'Éthiopie, Les Éthiopiens ont déjà des unités d'artillerie et de chars, et je ne doute pas que dans quelque temps ils posséderont de magnifiques cadres pour le maniement de ces armes ; ils possèdent de nombreux soldats, et il est plus facile de former un soldat d’infanterie qu'un spécialiste en blindés ou en artillerie. Nous pouvons dire, de plus, que l'infanterie éthiopienne est composée de soldats ayant de grandes qualités au combat, des soldats très braves, très courageux.

Cette collaboration s'est avérée indispensable ; nous avons envoyé ces spécialistes et, comme l'a dit Granma, des unités d'infanterie blindée de Cuba ont participé à la phase finale des opérations aux côtés de l’infanterie éthiopienne (applaudissements).

Comme nos journaux l'ont annoncé hier, en sept semaines, tout le territoire occupé de l’Ogaden a pratiquement été libéré, soit plus de 320 000 km2 (applaudissements). Les envahisseurs avaient occupé 320 000 km2, soit un territoire trois fois plus grand que Cuba. Or, entre le 22 janvier et le 14 mars, tout ce territoire avait pratiquement été libéré, il ne restait que quelques localités et les occuper n'était plus qu’une question de temps : les forces éthiopiennes n'avaient pas assez de véhicules motorisés et, à divers endroits, elles ont dû se déplacer à pied. Ainsi la guerre est pratiquement terminée sur le front Est.

La coopération entre les Éthiopiens et les Cubains a été réellement magnifique : il y avait des unités d'artillerie formées par des spécialistes cubains et des effectifs éthiopiens. Il ne leur a fallu que quelques jours pour parvenir à se comprendre au moyen de signes et de codes chiffrés, et le groupe d’artillerie marchait à la perfection. Malgré l'obstacle de la langue, il régnait un climat de profonde fraternité combative, une grande confiance mutuelle, un véritable esprit de fraternité, et les problèmes se réglaient sans difficulté.

Nous ne voudrions pas, je le répète, qu'on croie que nous nous vantons, que nous faisons un éloge exagéré de nos combattants. Mais il me semble que ce n'est que simple justice de signaler que les combattants internationalistes cubains ont fait preuve d'une efficacité extraordinaire et de qualités combatives magnifiques (applaudissements). Il est admirable que des hommes de notre peuple aient été capables de se rendre dans un pays si éloigné et d'y combattre comme ils l’auraient fait dans leur propre patrie. C'est ça, l'internationalisme prolétarien ! (Applaudissements.) Nos soldats révolutionnaires, efficaces et courageux, ont rapidement noué une amitié magnifique et des liens étroits avec les admirables combattants révolutionnaires éthiopiens ; ils ont été accueillis avec une affection extraordinaire par le peuple éthiopien et je sais que ses dirigeants sont très reconnaissants envers notre peuple pour cette aide solidaire.

La guerre contre l’envahisseur est pratiquement terminée. L'Éthiopie a publiquement déclaré qu'elle ne franchirait pas les frontières de la Somalie. Cela nous semble absolument juste et correct, car cette guerre n'a pas été faite pour envahir un autre pays, pour occuper des territoires appartenant à d'autres, absolument pas. La guerre a été une guerre défensive absolument juste, pour défendre le territoire envahi par des agresseurs étrangers, pour expulser ces agresseurs. À condition bien entendu que les agressions contre l'Éthiopie menées depuis la Somalie ne se renouvellent pas, car il nous semble qu’aucun pays ne serait disposé à supporter indéfiniment qu'on l'attaque depuis la frontière d'un autre pays sans répondre comme il convient. Mais nous savons parfaitement avec quelle sincérité le gouvernement éthiopien a garanti que ses troupes ne franchiraient pas les frontières de la Somalie.

En fait, ce n'est pas nécessaire du point de vue militaire, étant donné que les forces ennemies ont été totalement défaites. Pour notre part, nous appuyons pleinement cette position du gouvernement éthiopien.

Que se passera-t-il en Somalie ? Il est impossible de le prévoir. Néanmoins, il est hors de doute que la fraction de droite qui a imposé sa ligne agressive et aventurière au gouvernement somalien a essuyé une lourde défaite. Naturellement, les impérialistes s'efforcent d'encourager cette faction, même au milieu de la débâcle. Il y a pourtant en Somalie des forces progressistes, des forces de gauche : nous attendons de voir ce qui adviendra au cours des prochaines semaines. Évidemment, cette question ne concerne que les Somaliens, ce problème ne nous regarde pas, pas plus nous qu’aucun autre pays.

Les impérialistes ont adopté, tout au long du conflit, une position très hypocrite, car ils savaient dès le début que la Somalie était en train d’envahir l’Éthiopie, dès le mois de juillet. Les États-Unis et les pays de l'OTAN le savaient, et ils se sont tus, ils n'ont pas soufflé mot, ils étaient ravis ; ils ont fourni des armes aux agresseurs, des armes étasuniennes et de l'OTAN, à travers l'Arabie saoudite, l'Iran et d'autres pays ; et tant que les Somaliens avançaient, ils n’ont rien dit. Tandis que les Somaliens occupaient presque tout le territoire de l'Ogaden, les impérialistes étaient optimistes, évidemment. En revanche, quand les Éthiopiens ont commencé à bénéficier d'une aide internationaliste, quand ils ont commencé à recevoir des armes du camp socialiste et des combattants internationalistes cubains, alors ils ont poussé les hauts cris. C’est alors qu'ils ont parlé de réunir les pays de l’OUA, les Nations Unies, etc., etc., etc., qu’ils ont parlé d’un cessez-le-feu. Quand ont-ils commencé à parler d'un cessez-le-feu ? Quand les agresseurs ont commencé à perdre la guerre.

Tant que les Somaliens progressaient, ils ne soufflaient mot ; quand les choses ont commencé à se gâter, après les premières victoires des défenseurs, quand ils se sont rendu compte que la situation pouvait changer d'un moment à l'autre, alors ils se sont mis à crier au scandale et à lancer une vaste campagne de propagande dans le monde entier, à parler des combattants internationalistes cubains – des troupes cubaines, comme ils disent – en Éthiopie. C’est quand la roue a commencé à tourner dans l’autre sens, qu'ils ont parlé d'un cessez-le-feu, ce qu’ils n'avaient pas fait pendant des mois, alors que les agresseurs réactionnaires gagnaient du terrain. Et, bien sûr, le gouvernement éthiopien, avec raison, a répondu – ce qui est on ne peut plus juste – qu’il ne saurait y avoir de cessez-le-feu tant qu’une partie de son territoire serait occupée. C'est là également notre philosophie révolutionnaire : il ne peut y avoir de cessez-le-feu tant qu'une partie du territoire est occupée (applaudissements).

Les premiers contrecoups ont eu lieu, l’offensive s’est étendue, les troupes ennemies ont été totalement vaincues. Elles ont dû se retirer précipitamment, en abandonnant les chars, les canons, l'artillerie, toutes sortes d’armes afin d'éviter l'encerclement et la capture, parce que, tout simplement, elles étaient vaincues, et bien vaincues. Il faut dire que ce retrait des troupes somaliennes n'a été en rien un geste volontaire. En effet, si elles étaient restées là quatre jours de plus, seulement quatre jours, pratiquement toutes les troupes qui se trouvaient dans l’Ogaden auraient été encerclées. Compte tenu de la manière dont progressaient les forces révolutionnaires, qui avaient occupé les principaux nœuds de communication grâce à leurs manœuvres, les restes de l'armée somalienne auraient été encerclés dans l’Ogaden s’ils n’avaient pas battu en retraite à toute vitesse. Voilà pourquoi les agresseurs ont dû se retirer. Inutile de déclarer que le gouvernement somalien a fait le geste de retirer ses troupes : personne, absolument personne ne sera dupe. S'il ne l’avait fait, l'armée somalienne aurait perdu les troupes qui lui restaient. En fait, celles-ci se sont retirées sous la poussée des actions militaires.

Telle est la vérité ; inutile de mentir. Nous croyons que la guerre entre la Somalie et l’Éthiopie est maintenant terminée puisque le territoire a été libéré. Quant aux Somaliens, je ne crois pas qu'ils soient tentés d'eux-mêmes de commettre la bêtise d’attaquer à nouveau l'Éthiopie ; cependant, les pays réactionnaires, les pays de l’OTAN et l'impérialisme, qui les ont déjà poussés une fois à l'agression, pourraient recommencer.

Quant à nous, nous souhaitons sincèrement la paix entre les deux pays. L'objectif de la guerre était la libération du territoire occupé. Nous souhaitons sincèrement que le peuple somalien puisse vivre en paix et s'engager véritablement dans la voie du progrès et du socialisme. Nous croyons que le peuple somalien est un peuple capable, qu'il a de grandes qualités ; comme l’a très justement expliqué Granma, le soldat somalien n'est pas un lâche, il convient de le dire, en toute justice ; il a fait preuve d'endurance et de combativité ; indiscutablement, il a été trompé, envenimé par toute cette politique chauvine et par l'idée de la Grande Somalie. Que personne ne considère donc le soldat somalien comme un soldat faible et incapable. Simplement, il a été vaincu. Les adversaires ont fait fausse route, ils n’ont pas bien évalué la situation. Il est indéniable que les dirigeants somaliens ont commis de grandes erreurs sur le plan politique et quelques erreurs sur le plan militaire qui expliquent leur défaite, indépendamment du fait qu'ils se proposaient de perpétrer un grand crime historique. L'efficacité avec laquelle ont agi les combattants révolutionnaires a considérablement réduit leurs pertes au cours des affrontements. En raison de l’efficacité, de la préparation magnifique, excellente, de nos combattants internationalistes, les pertes au cours des combats ont été minimes.

Nous accordons également notre aide à l'Éthiopie sur le plan civil. Nous avons envoyé – et la plupart d'entre eux se trouvent là-bas – plus de trois cents médecins et spécialistes sanitaires. Le pays compte plus de trente millions d’habitants. C'est un pays très peuplé. Les conditions sanitaires y sont très précaires. Nous avons déjà abordé ce sujet à diverses reprises.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de nous étendre davantage sur ce point, mais il est juste d’y faire allusion en un jour comme aujourd'hui, étant donné son importance.

Chers compañeros,

Dédions les minutes finales de cette cérémonie à la Protestation de Baraguá et à Antonio Maceo, et dédions-leur, du plus profond de nos cœurs, l'œuvre de la Révolution. Offrons à Maceo, à Gómez, à Céspedes, à Agra­monte, à Martí, à Yara à Baraguá et à Baire, l'hommage de notre effort révolutionnaire, de l’effort révolutionnaire de notre génération. Nous leur dédions la Mon­cada, et le Granma, la Sierra, le 13 Mars, Playa Girón, et les héroïques missions internationalistes en Angola et en Éthiopie (applaudissements). Nous leur dédions nos efforts et nos luttes.

Proposons-nous en ce jour d'aller toujours de l'avant, comme nous l’avons fait jusqu'à présent, en enrichissant les pages de l'histoire de la patrie.

De nombreuses tâches et de nombreux efforts nous attendent. Que les combattants intensifient leur préparation combative, que nos travailleurs redoublent d'efforts pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.

Inspirons-nous de l'exemple de nos prédécesseurs, inspirons-nous de faits comme celui-ci, inspirons-nous de l'exemple d'Antonio Maceo pour accomplir fidèlement notre devoir aujourd'hui !

La Patrie ou la mort !

Nous vaincrons ! (Ovation.)

Versiones Taquigraficas - Consejo de Estado